Le Rajasthan, étendard du tourisme en Inde – #0159

Depuis les années 1970, le Rajasthan est l’étendard du tourisme en Inde. Citadelles imprenables perchées sur les collines ou nichées  dans les replis des montagnes ; caravanes de chameaux à travers le désert ; partout le chatoiement des saris des femmes qui viennent illuminer de leurs couleurs les marchés des villes ou les campagnes arides, faste des maharajas dans leurs palais des Mille et une nuits.

Les maharajas, justement

Splendeur et déchéance

Troquant leurs activités guerrières contre une vie d’oisiveté, ces maharajas, princes de l’Inde britannique, s’adonnaient à des passe-temps d’un luxe insensé. La plupart d’entre-eux étaient hostiles aux mouvements indépendantistes, en qui ils voyaient une menace pour leurs privilèges. Ils continuaient à dilapider leurs immenses fortunes comme si de rien n’était. Finalement, ce sont eux qui ont suscité le développement du tourisme au Rajasthan. Car après avoir remis leurs Etats à l’Union Indienne au moment de l’Indépendance, et surtout après la suppression en 1971 des privilèges – privy purses – que leur octroyait généreusement le gouvernement indien, il a fallu que les maharajas se trouvent une autre source de revenus. C’est ainsi qu’ils ont ouvert leurs demeures ancestrales à la visite, tandis que d’autres étaient aménagées en hôtels luxueux.

En la matière, les maharajas de Jodhpur et de Jaipur ont fait figure de précurseurs, en permettant aux visiteurs de découvrir de l’intérieur le luxe inouï de leur palais royal.

 

De grands guerriers

Ces héritiers de farouches guerriers se sont faits redoutables hommes d’affaires. Les uns se réclament du Feu, d’autres de la Lune ou encore du Soleil. Ce sont trois lignées mythiques, éparpillées dans des dizaines de clans, dans lesquelles se reconnaissent les Rajputs. Ces guerriers du nord-ouest de l’Inde se sont taillés des principautés dès le 11ème siècle.

Au 16ème siècle, face à l’envahisseur Moghol – des musulmans descendus des plateaux afghans -, les Rajputs et les habitants du Rajasthan sont incapables d’opposer le moindre front de résistance. La prise du fort de Chittorgarh en 1567 signe la fin des Rajputs.

 

Le Rajasthan - Fort de Chittorgarh

Le Rajasthan - Fort de Chittorgarh

Lors de ce siège épique, l’élite de la chevalerie hindoue périt les armes à la main, tandis que les femmes du harem se suicident pour éviter le déshonneur. Un à un, les princes Rajputs font  leur soumission aux empereurs Moghols. Beaucoup les servent loyalement sur les champs de bataille, d’autres leur offrent leurs filles en mariage.

 

L’arrivée des Britanniques – comment l’Inde devient anglaise

Les anglais s’implantent en Inde à partir du 17ème siècle, avec le soutien de la Compagnie britannique des Indes orientales, une association de marchands à caractère privé. Le pays est alors gouverné par les Moghols, une dynastie d’origine perse qui décline rapidement à la fin du 18ème siècle. La Compagnie en profite pour signer des accords d’ordre commercial avec les grands États princiers, auxquels s’ajoutera ensuite une dimension militaire – la Pax Britannica -, la Compagnie ayant créé son armée personnelle. La plupart des princes indiens font allégeance à la Compagnie ou fondent leurs propres États indépendants. L’un de ces princes, Ranjit Singh, un chef local sikh, se proclame maharaja du Pendjab en 1801. Mais, en 1849, les Britanniques divisent son royaume en plusieurs États princiers qu’ils confient à de nouveaux maharajas.

 

Le Rajasthan, riche de palais somptueux

La Pax Britannica interdit aux maharajas de s’adonner à leur activité coutumière, à savoir se livrer bataille. Beaucoup d’entre eux quittent alors leurs simples résidences urbaines ou leurs rustiques forteresses de campagne pour s’installer dans l’opulence des somptueux palais construits par des architectes anglais. Lors de mon voyage, j’ai eu la chance de visiter quelques uns de ces forts et palais. En voici une liste, mise à jour au fur et à mesure de la rédaction des articles.

 

Le palais des rao de Bundi étage à flanc de colline
Le palais des rao de Bundi étage à flanc de colline
Le palais des rao de Bundi étage à flanc de colline
Le palais des rao de Bundi étage à flanc de colline

Forteresses

Ram Singh, maharaja de Bundi, achève la construction d’un immense palais; un édifice qui paraît sortir de la roche, en une succession de gigantesques terrasses et qui domine toute la ville. J’ai eu la chance de le visiter. Je vous invite à le découvrir à la lecture de cet article.

 

Le fort Junagarh . Bikaner était avec Jodhpur et Jaisalmer l’un des trois grands royaumes de désert du Rajasthan

 

Bikaner - Junagarh Palace - Le Karan Mahal
Le Karan Mahal, une somptueuse salle des audiences publiques aux murs décorés à la feuille d’or, construite entre 1631 et 1669.

 

 

Palais

Le Gajner palace – un joyau dans le désert de Thar, construit par le Maharaja Sir Ganga Singh de Bikaner, en bordure d’un lac.

 

Le Gajner Palace - Bikaner - Rajasthan
Le Gajner Palace – Hôtel de charme à Bikaner
Le Gajner Palace - Hébergement de charme à Bikaner
Le Gajner Palace – Hébergement de charme à Bikaner

L’entrée dans la modernité

Au début du 19ème siècle, les Britanniques mettent tout le monde d’accord. Ils imposent leur puissance en attachant  à la cour de chaque Etat Rajput un de leurs représentants qui exerce la réalité du pouvoir politique dans ces royaumes encore théoriquement indépendants.

C’est pour les maharajas l’entrée dans la modernité. Les Britanniques encouragent par ailleurs les maharajas à s’angliciser. Ces derniers affichent volontiers des modes de vie britanniques, donc, trempant leurs moustaches guerrières dans le gin-tonic ou le verre de whisky. Ils prennent la pose photographique en compagnie de gentlemen engoncés dans leurs faux cols.

Une université est construite pour les princes indiens, le Rajkumar College de Rajkot, afin que ceux-ci reçoivent dès leur plus jeune âge une éducation anglaise élitiste. Le devoir ancestral de protection dû au peuple – un lien sacré entre dirigeants et dirigés nommé raja-praja désormais relégué aux oubliettes, la plupart des maharajas n’ont plus d’autre occupation que de profiter de leurs richesses en menant une vie oisive et dissolue.

Ils se déplacent dans leurs propres trains, et collectionnent plus tard les automobiles. La possession d’au moins une Rolls-Royce est un impératif, et aussi les avions. C’est d’ailleurs à Jodhpur qu’est créé le premier aéroport international indien.

Quand les maharajas se rendent en Angleterre pour la saison mondaine, ces princes fournissent de la matière aux journalistes des gazettes. Lorsque Madho Singh II, maharaja de Jaipur, se déplaça à Londres en 1902 pour assister au jubilé de la reine Victoria, il emporta avec lui deux jarres d’une contenance de 4000 litres et pesant 242 kg chacune, afin de disposer de suffisamment d’eau du Gange pour ses ablutions quotidiennes. Conservées dans le City Palace de Jaipur, elles sont encore aujourd’hui considérées comme les plus grands objets en argent du monde.

 

L'une des 2 jarres de Madho Singh II
L’une des 2 jarres de Madho Singh II

L’étalage de leur richesse et leurs frasques font rêver les midinettes.

 

Ranakpur Fatehbagh palace
Fatehbagh – Ranakpur

Le développement social

Tous les maharajas ne consacrent pas leur temps à une vie pleine d’excentricités. Certains dirigeants réorganisent leurs administrations conformément au modèle britannique. Déléguant la gestion de l’État à un Premier ministre compétent, ils emploient leurs efforts pour développer leur pays et entretenir les relations avec les fonctionnaires britanniques.

L’exemple le plus remarquable est celui de Ram Singh II, maharaja de Jaipur. Un souverain moderne et progressiste qui abolit l’esclavage, l’infanticide des filles et la coutume ancestral du sati : c’est-à-dire l’immolation des veuves sur le bûcher funéraire de leur époux. Il fait également installer l’éclairage au gaz et l’eau courante, et construire de nouvelles routes.

Ganga Singh, maharaja de Bikaner et général maintes fois décoré, installe l’électricité et un réseau ferroviaire dans son État ; en 1927, pour irriguer le désert de Thar, il lance la construction du canal de Gang, qui transforme alors son pays en grenier du Rajasthan et en fait l’un des Etats les plus riches.

 

Le Rajasthan, une mosaïque de seigneuries

Jusqu’à l’Indépendance de l’Inde en 1947, plus d’une vingtaines d’Etats princiers se partagent le territoire du Rajasthan. Une mosaïque de seigneuries qui remonte aux débuts de cette féodalité à l’indienne. Dans cette région aride où l’agriculture fait figure de parent pauvre, la richesse provient non des propriétés foncières, mais du contrôle d’une portion des routes caravanières. Au seigneur, les droits de péage et les impôts levés sur les commerçants et négociants établis sur son territoire. A l’exception de sa partie sud-est, le Rajasthan n’offre que de chiches ressources naturelles, du moins jusqu’à la découverte d’importants gisements de pétrole dans le désert.

C’est l’une des régions les plus arides de l’Inde, où la mousson, quand elle arrive, suffit tout juste à remplir les réservoirs et les citernes de l’eau nécessaire pour l’année. Pourtant, ici comme dans tout le pays, la régularité du cycle de ces pluies a structuré l’âme indienne depuis la nuit des temps.

 

La spiritualité

Ce cycle immuable de la nature a inspiré toute la philosophie religieuse hindoue : l’éternel recommencement de la création – un monde naît, vit et meurt avant qu’un autre le remplace. De même pour les individus, promis à la réincarnation.

Dans leurs temples, les prêtres veillent à cet ordre immuable du monde qui comprend la division de l’humanité en quatre castes principales : les brahmanes, seuls habilités à être prêtres, les guerriers tels les Rajputs, les commerçants et les artisans. Sans oublier la masse des humains n’appartenant à aucune de ces castes : les dalits, que l’on appelait jadis « intouchables », et de manière plus générale, toute l’humanité vivant hors de la société hindoue, comme les touristes étrangers en visite en Inde.

L’ordre du monde reposant sur cette division, chercher à en sortir ou s’affranchir des règles qui s’imposent à sa communauté mettraient en péril la création tout entière.

A certains égards en retard sur le reste de l’Inde, la société rajasthanie reste profondément marquée par les pratiques religieuses. Le pourcentage d’illettrés y est supérieur à la moyenne nationale, et en la matière, le Rajasthan pointe à une piteuse 33ème place sur les 36 états et territoires de l’Inde.

Chaque jour, les prêtres ouvrent les portes de milliers de temples, de sanctuaires, où chacun ne manque pas de recevoir la bénédiction avant d’ouvrir sa boutique ou de s’en aller aux champs.

 

Les savoir-faire traditionnels

La tradition, c’est aussi les savoir-faire traditionnels qui se perpétuent pour le plus grand bonheur des visiteurs. Partout, on peut assister à des spectacles. Le Rajasthan est également une invitation permanente à remplir sa valise : les chatoyants tissus imprimés ont fait la célébrité de la région. Les miniaturistes continuent leurs délicates peintures selon une technique immuable.

Traditionnel, le Rajasthan n’en a pas pour autant été oublié par la modernité. Le développement du réseau routier fait oublier les voies étroites et cahoteuses d’il y a encore quelques années. Ainsi va l’Inde du début du IIIème millénaire, et le Rajasthan avec elle, dans un dialogue permanent entre tradition et modernité.

Si, à moto, le turban se porte volontiers en guise de casque, c’est bien souvent le portable à l’oreille que le chamelier conduit son animal.

 

L’hébergement au Rajasthan

En perdant leurs privilèges, la plupart des maharajas durent vendre une partie de leurs possessions. Notamment leurs bijoux, ou céder des palais, dont l’entretien était devenu trop onéreux. Le gouvernement indien en récupéra une partie qu’il transforma en bureaux destinés à l’administration. Beaucoup d’autres bâtiments tombaient en ruine, car mal entretenus. Dans l’Inde moderne, les maharajas devenaient un anachronisme condamné à disparaître…

Mais heureusement, le développement du tourisme a parfois du bon : on ne compte plus les demeures de charme, palais ou maisons de notables, convertis en hébergements. L’occasion de sortir du réseau des hôtels impersonnels et de rencontrer des familles  qui ouvrent leurs portes aux visiteurs.

 

Ranakpur Fatehbagh palace
Fatehbagh – Ranakpur
Ranakpur Fatehbagh palace
Fatehbagh – Ranakpur

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